Connaissez-vous quelqu’un capable de donner de gros câlins à des millions de personnes depuis 35 ans ? De prendre chacun sur son cœur comme s’il s’agissait de son propre enfant ? Une telle personne existe. Il s’agit de Mère Amma, une Indienne infatigable qui transmet son amour à des centaines de personnes chaque jour. Bien que je ne l’ai jamais rencontrée, juste de la voir serrer contre elle tant de gens avec compassion et bienveillance m’émeut. Cela me touche d’autant plus qu’il est rare d’observer un don aussi inconditionnel. Comment fait-elle pour faire preuve de tant de générosité sans s’épuiser ? On parle ici de serrer dans ses bras des inconnus sept jours sur sept, 15 heures par jour, depuis 35 ans… sans que sa vitalité et son enthousiasme soient affectés !
En occident, pour ne pas nous épuiser, nous avons plutôt tendance à faire le contraire de Mère Amma. Devant les sollicitations de toutes sortes, nous nous protégeons en érigeant une forteresse. Normal de se défendre de l’invasion, sinon, nous nous retrouverons vite avec les batteries à plat, n’est-ce pas ? Lorsqu’on donne facilement et généreusement, les risques sont encore plus grands, car on nous en demande davantage. Pensez juste au travail, lorsque vous livrez la marchandise de façon impeccable, bien avant les délais. Que va faire votre patron ? Vous en demander plus, dans des délais encore plus serrés ! Idem avec votre famille ou vos amis. Vous faites quelque chose de peu commun, comme organiser une fête mémorable ou faire le grand ménage de la maison. Devinez qui sera désigné d’office pour réitérer le même exploit l’année suivante : la généreuse personne que vous êtes, évidemment !
La solution consiste-t-elle à restreindre vos élans du cœur ? De nombreux livres et spécialistes de la gestion du temps accentuent le fait que le salut consiste à savoir dire « non ». C’est d’ailleurs l’option choisie par plusieurs. Mais vous vous en doutez, ce n’est pas la plus satisfaisante. À court terme, oui, on évite de se retrouver les batteries à plat. Mais à long terme, on se retrouve avec le cœur sec, ce qui n’est pas mieux. Prenons un exemple : qu’arrive-t-il à notre motivation au travail si on ne fait que se limiter à faire le minimum requis ? On devient blasé, frustré ou déprimé. On est alors peu enclin à vivre des relations satisfaisantes avec nos collègues ou nos clients. Et il est fort à parier qu’on ne vivra pas souvent d’expériences valorisantes. Il en est de même dans toutes les sphères de notre vie.
Quand on se réfugie dans la protection et la restriction du don de soi, on doit se serrer le cœur. Pensez à la dernière fois que vous avez refusé à l’autre votre attention, votre aide, votre compassion ou votre compréhension. Que s’est-il passé en vous ? Un exemple qui me vient est quand j’ai laissé ma fille de 3 ans à la garderie pour la première fois (ou la crèche, si vous êtes un lecteur européen). C’était une expérience toute nouvelle pour elle, car elle venait d’y faire son entrée. Au bout de 15 minutes, l’éducatrice me faisait sentir qu’il était temps que j’y aille même si ma fille, collée sur moi et les yeux remplis de larmes, me répétait « Maman, je veux être à la maison avec toi ». J’ai alors senti mon cœur se serrer douloureusement, et pour quitter les lieux, j’ai littéralement dû me couper de l’élan du cœur qui m’aurait fait prendre ma fille avec moi pour m’en occuper à la maison aussi longtemps qu’elle en aurait besoin (bon, il s’agit ici d’un autre débat sur les besoins des enfants versus ceux des parents, j’y reviendrai dans un autre billet).
Certaines situations ne vous « arrachent-elles » pas le cœur ? Ou n’avez-vous jamais à « mettre votre cœur sur la glace » pour faire quelque chose ? L’imagerie populaire reflète bien cette réalité par laquelle on coupe le flot d’amour pour se protéger ou survivre. Tristement, on croit que ceci est inévitable, ou même pire, souhaitable. On valorise même les gens capables d’agir froidement, sans se laisser manipuler par les émotions des autres.
Mais comment faire autrement ? Revenons à l’exemple de la garderie. Une fois dehors, j’ai pris quelques minutes pour observer ce qui se passait en moi. Juste à la porte de mon cœur fermé, j’ai vu de la culpabilité, de la tristesse, de la déception, de l’inquiétude. J’ai gardé mon cœur bien serré pour éviter de ressentir ces émotions. Du même coup, je me suis privé de ressentir de la compassion, del’amour et de la tendresse, tant envers moi qu’envers ma fille. Or, ces sentiments ne se vivent que le cœur ouvert. J’ai alors décidé de prendre le risque et d’ouvrir les vannes. Et l’effet a été instantané. De tendue et crispée intérieurement, je suis redevenue souple et paisible. Et surtout, j’ai senti l’amour m’enrober avant de couler vers l’extérieur et déferler sur ma fille pour l’entourer, la bercer et la consoler. Même si j’ai choisi à ce moment-là de ne pas être à ses côtés physiquement, je me sentais avec elle de cœur et j’ai pu partir de la garderie en paix.
J’ai remarqué qu’il semble toujours plus difficile de donner ce qu’on n’a jamais reçu soi-même. Prenons un exemple bien personnel, pour faire suite à l’exemple précédent de la garderie. Enfant, ma mère n’a jamais été une présence attentive et aimante capable de me réconforter lorsque j’avais peur ou que je vivais quelque chose de perturbant. Lorsque j’ai eu des enfants moi-même, il n’a pas été aisé au départ de leur offrir cette présence qui m’a manquée cruellement. J’avais peur, en leur offrant mon amour, d’être confrontée à ma propre souffrance que j’avais terrée dans un coin de mon cœur. J’avais peur, surtout, qu’il me soit impossible redonner ce que je n’avais pas expérimenté moi-même. Je croyais qu’il me fallait donner à partir de mes propres réserves, et comme les miennes étaient pratiquement vides, c’était très perturbant. J’ai été tentée de reléguer tout ça dans un coin de mon subconscient, qui aurait vite fait de reproduire les comportements de ma mère (n’est-ce pas pourquoi on finit souvent par faire exactement ce qu’on détestait chez nos parents?).
Mais vous devinez la suite. J’ai plutôt fait le choix d’ouvrir mon cœur. Du coup, j’ai pu faire le choix conscient d’être vraiment présent pour mes enfants. Plus j’ouvrais mon cœur, plus il m’était possible d’aimer de manières inconditionnelles et d’offrir à mes enfants tout ce qui m’avait manqué. C’était facile et agréable, et surtout, cela m’a permis de guérir de mes souffrances passées. Je sais, cela fait cliché, mais l’amour m’a guérie. Ce qui fait moins cliché par contre, c’est que ce n’est pas l’amour des autres qui m’a guérie, mais l’amour que j’ai laissé circuler à travers moi.
En choisissant de vivre le cœur ouvert, j’ai commencé à vraiment pouvoir donner ce que je n’ai jamais eu. Et j’ai pu donner sans m’épuiser. Au contraire. En recevant, l’amour en moi et en le transmettant ensuite, je me remplis de joie et d’énergie. Je suis certaine que c’est ainsi que Mère Amma arrive à poursuivre avec autant d’énergie sa mission. Elle ne donne pas l’amour, elle le reçoit puis le transmet. Le hic c’est que, comme pour les ondes radio, il faut allumer le récepteur pour pouvoir capter les ondes et les transmettre de manière à entendre la musique. Bref, il faut être une radio ouverte! Un cœur ouvert…
La vie met sur ma route comme sur la vôtre mille occasions par jour de serrer votre cœur ou de l’ouvrir. Que ce soit le passant que vous ignoriez ou à qui vous offrez un sourire, votre enfant que vous repoussez ou que vous prenez contre vous, votre collègue que vous jalousez ou pour qui vous vous réjouissez, toutes les occasions sont bonnes pour choisir d’ouvrir votre cœur et de transmettre l’amour.
Et vous, avez-vous des exemples où le fait d’ouvrir votre cœur a tout changé ?
Geneviève